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15 mai 2013 3 15 /05 /mai /2013 17:23

Pour changer un peu de la description des progrès de la maison d'Aix, je souhaitais depuis un moment faire un petit aparté sur un sujet dont on parle de plus en plus, mais pas forcément comme il faudrait (!), et qui va certainement continuer à être à la mode au cours des années qui viennent. J'ai nommé les gaz de schiste. Ce qui suit vous aidera peut-être à convaincre tel ou tel (y compris vous-mêmes si besoin ) du non-sens de poursuivre cette filière.

 

Pour commencer par chez nous, c'est-à-dire la France, il serait bon de savoir que personne n'est vraiment sûr qu'il y ait des gaz de schiste sous nos pieds (on verra plus loin l'exemple polonais). Pour en être certain, il faudrait forer... ce qui veut dire mettre le doigt dans l'engrenage.

Quelques éléments pour fixer les idées:

  • la zone explorable en horizontal à partir d'un forage donné ne dépasse pas 1 à 2 km de diamètre;
  • le volume de gaz extractible (s'il existe!!) d'un seul forage est faible et diminue rapidement, de moitié au bout d'un an, d'environ 80% en moyenne après 2 ans.

Ceci implique déjà qu'il faut transformer une région en fromage de gruyère et qu'il faut la couvrir d'un maillage étroit de gazoducs si on veut que ça serve à récupérer des quantités de gaz autres que ridicules.

Pour extraire le gaz, il faut (seule technique connue à ce jour) utiliser, c'est bien connu, la fracturation hydraulique qui consomme entre autres choses des quantités astronomiques d'eau (12 à 20.000 m3 par puits) et injecte des tas de produits toxiques.

 

Je précise tout de suite qu'on trouve des gens qui prétendent qu'une nouvelle technologie d'extraction est parait-il en cours de développement, à base d'hélium, arguant (voir par exemple le site legazdeschiste.fr) que l'hélium est « le second élément le plus abondant dans l'univers » ; ils oublient juste de dire que, dans l'atmosphère terrestre, le He 3 n'est présent que pour une fraction de 7x10 -12 environ, autant dire rarissime... Autrement dit, c'est juste un peu d'intox...

 

Avant de passer en revue quelques-uns des nombreux "agréments" des gaz de schiste (qui commencent à être assez bien documentés, à partir des sites déjà exploités aux Etats-Unis ou dans des pays comme la Pologne), regardons les principales différences entre les US et la France dans ce domaine.

Tout d'abord les Américains ont du gaz extractible, c'est clair et ils l'exploitent depuis déjà une dizaine d'années. L'exploitation a pu se développer entre autres en raison de la législation très spécifique en vigueur: chaque propriétaire a le droit de forer le sol de son terrain jusqu'où il veut et de tirer bénéfice de ce qu'il peut trouver! Ceci a largement contribué à la prolifération de puits de pétrole autrefois ou de forages de gaz plus récemment, et à la création d'un réseau de gazoducs très dense.

Mais il est intéressant de remarquer que les « vrais » gaz de schiste ne représentent pour l'instant que 15% environ de la production totale américaine de gaz, mais ce chiffre est en croissance rapide. Le reste est surtout soit du gaz conventionnel, soit du gaz extrait de ce qu'on appelle des « réservoirs compacts », qui sont absents en France...


Les chiffres des réserves de gaz de schiste ont été artificiellement gonflés aux Etats-Unis pour attirer les investisseurs. La chute des cours qui a été observée récemment met beaucoup de ces sociétés en difficulté. Par effet de bord, cette chute des cours du gaz a entraîné celle du charbon, ce qui permet aux Américains d'exporter leur charbon vers la Chine, à la place de celui qui vient d'Indonésie...

Par contre, étant donné la quantité considérable de besoins, la multiplication des forages de gaz de schiste a conduit à une explosion du prix de l'eau qui pénalise évidemment en particulier les ménages à revenus modestes.


La première mauvaise nouvelle est que les Américains comptent sur le gaz de schiste pour devenir, d'ici 2015, les premiers producteurs de gaz au monde et pour parvenir à l'autonomie énergétique. Ce n'est certes pas cette situation qui les motivera à modérer leur boulimie et à chercher des sources d'énergie renouvelables ou en tout cas moins polluantes.

 

Voyons maintenant les conséquences sur lesquels les avocats des gaz de schiste n'aiment pas trop s'étendre:

  • Les puits de gaz de schiste fuient, c'est un phénomène bien connu; ils libèrent ainsi du méthane qui est environ 30 fois plus générateur d'effet de serre que le CO2. Or ces fuites, on le sait depuis peu, semblent nettement plus importantes que prévu. Elles atteindraient 5 à 9% du gaz extrait. Ce qui veut dire que le bilan environnemental du gaz de schiste, contrairement à ce qu'on peut lire à gauche ou à droite, est très probablement aussi mauvais, sinon pire que celui du charbon, qui sert habituellement d'épouvantail dans ce domaine.
  • Le risque de pollution des nappes phréatiques voisines est important et avéré, avec les conséquences qu'on imagine.
  • Une récente enquête du New York Times, journal en général bien informé, a conclu, au-delà des problèmes de fuite de méthane évoqués et de la pollution engendrée par l'énorme flux de camions nécessaire à l'exploitation, au risque de radioactivité des eaux rejetées et de cancer.
  • Les Américains s'inquiètent officiellement de l'augmentation de l'activité sismique dus au forage, mais se focalisent curieusement sur ceux liés aux puits mexicains, de l'autre côté du Rio Bravo, plutôt que sur ceux situés sur leur territoire... Or il est maintenant pratiquement établi qu'un tremblement de terre de magnitude 5,7 survenu en 2011 dans l'Oklahoma a été causé par la fracturation hydraulique utilisée dans des gisements de gaz de schiste voisins!

De nombreux pays dans tous les coins de la planète ont des projets plus ou moins grandioses d'exploitation de gaz de schiste. On y trouve même l'Algérie, ce qui est totalement aberrant quand on pense à l'énergie solaire inépuisable dont ils bénéficient, qu'ils pourraient largement utiliser en construisant notamment des centrales solaires à concentration.

Certains commencent cependant à déchanter, comme la Pologne qui a réalisé que les myrifiques gisements prétendument identifiés étaient en fait 7 à 10 fois moins importants que prévu. Plusieurs sociétés ont d'ailleurs décidé d'arrêter l'exploitation dans ce pays.

 

Si on se rappelle par ailleurs qu'une lutte efficace contre le réchauffement climatique suppose qu'on laisse où elles sont la plus grande partie des réserves de charbon prouvées (sinon on ira tout droit vers des accroissements de température catastrophiques au sens propre du terme), il est peut-être temps de s'apercevoir que le raisonnement vaut tout autant pour les gaz de schiste...


NB: Le texte ci-dessus est un court résumé de nombreux articles ou émissions récents, et je ne voudrais pas le terminer sans mentionner les sources principales que j'ai utilisées: les sites de J-M Jancovici (www.manicore.com), Courrier International, Rue89, Marianne, Le Monde ainsi que des émissions diffusées récemment sur France Culture ou ARTE.


 

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